Le vignoble valaisan monte en gamme avec ses spécialités et connaît le succès auprès des consommateurs. Actif depuis trente ans dans le secteur des vins, Claude Crittin livre son analyse.
Quelles sont les principales évolutions que vous avez constatées?
Au cours des dernières années, nous pouvons constater deux changements majeurs. Tout d’abord, dans la manière de consommer le vin. À l’époque, le vin était un produit de consommation courante, pour étancher la soif. Aujourd’hui, le vin se déguste par envie. Une autre modification concerne directement la viticulture en Valais. Au début, les vignerons ont géré la production du mieux qu’ils pouvaient, parfois en improvisant. La deuxième génération s’est professionnalisée pour livrer des vins qualitativement irréprochables. Enfin, la génération actuelle souhaite apporter plus que la qualité en amenant de l’émotion, en transmettant ses valeurs personnelles.
La promotion des vins du Valais est articulée autour des spécialités. Pourquoi?
À l’origine, les vins valaisans étaient relativement peu connus, et seules quelques exploitations se différenciaient auprès du grand public. Cet état de fait engendrait de la frustration. C’est ce qui a poussé à la mise en avant du patrimoine existant, en présentant des vins originaux et authentiques. Le Valais connaît d’ailleurs bon nombre de cépages anciens et autochtones. En 10 ans, il y a eu une évolution vers la montée en gamme significative des vins avec la valorisation des spécialités. Les résultats sont tangibles, puisqu’on constate au niveau des statistiques de consommation dans les grandes surfaces que le prix moyen des vins du Valais a augmenté grâce aux spécialités qui se vendent plus cher. Pour le producteur, ces vins spéciaux représentent 2 francs de revenu au m2 de plus, par rapport aux vins plus courants.
Quelles sont les incidences concrètes de cette mutation?
L’évolution s’est faite sur une dizaine d’années. Le nombre de producteurs a fortement diminué, de 621 à 457. Le nombre total de bouteilles produites a baissé de 10 millions d’unités, alors que la taille du vignoble est restée inchangée. Durant cette période, la part des spécialités a fortement augmenté, avec 10 millions de bouteilles produites en plus. Aujourd’hui, ces cépages autochtones représentent environ 40% du vignoble.
Quels sont les enjeux et défis futurs des vins du Valais?
La réputation des vins valaisans en Suisse romande est faite. En Suisse allemande, les médias et les spécialistes en vin reconnaissent les nouveaux produits à haute valeur ajoutée. Mais le potentiel de développement de la consommation auprès du grand public alémanique est encore conséquent. Le vignoble doit continuer d’évoluer, et passer à une part de 60% de vins spéciaux. Pour conserver la qualité de nos crus et promouvoir l’offre, il faudra concentrer les efforts sur un certain nombre de cépages phares qui répondent à la demande. La production de rouges permet d’ailleurs de concurrencer directement les vins étrangers, qui détiennent la majorité du marché. Concernant l’exportation, les vins valaisans bénéficient de la bannière de la qualité suisse. L’image est excellente à l’étranger, avec une notion de luxe. Cependant, la quantité de marchandise dont nous disposons ne nous permet pas de sortir du marché de niche dans lequel nous sommes cantonnés. Avec quatre années de petites récoltes, nous ne disposons pas de vins à exporter en volume.
Quel est l’impact de ces faibles récoltes sur le marché indigène et les exploitants?
Ces petites récoltes ont favorisé la concentration du nombre d’entreprises. Les domaines sont très morcelés, et le regroupement de parcelles et d’exploitations centralisées devient une nécessité. La reconversion vers le monde des spécialités a également été accélérée. L’incidence pour le consommateur se traduit par une présence et une activité réduite des crus du Valais dans la grande distribution. Les vins courants diminuent au détriment des spécialités, ce qui pousse les exploitants à la reconversion pour obtenir plus de valeur ajoutée.